Chien guide d’aveugle : formation, éducation, relation et épanouissement
Les chiens guides d’aveugles sont des compagnons de route essentiels pour de nombreuses personnes souffrant de déficiences visuelles. Ces assistants à quatre pattes se dévouent pour leur humain et leur apportent beaucoup. Si nous pouvons croiser l’un de ces duos en se promenant, beaucoup de questions restent en suspens. Comment se passe la formation des chiens guides d’aveugles ? Se dépensent-ils suffisamment ? Que deviennent-ils une fois réformés ? J’ai posé toutes ces questions à Estelle de Futur Chien Guide. Découvrez les réponses dans cette interview.
Comment un chien devient-il chien guide d’aveugle ?
Aujourd’hui encore, il y a un grand flou qui entoure les chiens guides d’aveugles. Nous savons que cela existe, nous pouvons nous interroger à ce sujet mais… Trouve-t-on vraiment réponse à toutes nos questions ?
Estelle en a fait son objectif : expliquer de manière simple à tout un chacun ce qu’est un chien guide d’aveugle et mettre en exergue les relations qui en découlent. Qui de mieux alors, pour répondre à nos questions ?
– Pourrais-tu te présenter et nous dire ton parcours ?
– Je m’appelle Estelle, j’habite à côté de Paris et vient de la région lyonnaise. Je suis passionnée par les chiens guides d’aveugles depuis de nombreuses années, et bénévole pour cette cause à Paris en tant que famille relais pour l’école des chiens guides de Paris.
J’ai toujours aimé les animaux, j’ai longtemps rêvé de devenir vétérinaire, même si le métier d’éducateur de chiens guides d’aveugles m’a titillé également ! J’ai fini par manquer d’une place mon entrée en école vétérinaire, pour rentrer finalement dans une école d’agronomie. À côté de ça, le souhait de devenir famille d’accueil ne m’a pas quitté depuis mon entrée au lycée, même si à l’époque cela engageait toute ma famille. J’ai tenté de le réaliser plusieurs fois pendant mes études, puis encore après, avant de trouver le compromis de famille relais.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à écouter l’épisode de podcast ci-dessous.
L'éducation du chien guide d'aveugle
Si vous vous demandiez comment est sélectionné un chien guide d’aveugle, Estelle nous apprend que la majorité sont issus d’élevage dédié : “Les futurs chiens guides naissent pour la plupart dans l’un des trois élevages du réseau de la Fédération Française des Associations de Chiens Guides – la FFAC, ils passent leurs trois premiers mois auprès de leur mère, avant de partir dans une famille d’accueil.”
C’est ici que la famille d’accueil a un rôle fondamental. C’est grâce à elle que le chien pourra par la suite rejoindre sa famille pour devenir un parfait assistant.
“La famille d’accueil va le socialiser pendant un an et l’emmener de partout dans le but d’en faire un chien bien dans ses pattes dans toutes les situations. Cela assure ainsi sa pré-éducation coachée par l’association de chiens guides. C’est vers ses un an que le futur chien guide va rejoindre l’école au quotidien et parfaire son éducation pendant 6 mois. Notamment sur la partie guidage, avec un éducateur de chiens guides d’aveugle dont c’est le métier ! L’obtention du Certificat d’Aptitude au Guidage – CAG – signe la fin de la période d’éducation et le temps de la remise du chien guide ainsi certifié à son bénéficiaire.”
Comment s'établit le duo humain-chien guide ?
Vous pensiez qu’à la fin de sa formation, chaque chien guide rejoignait automatiquement une nouvelle famille ? Détrompez-vous. Il est question de créer une relation fusionnelle entre deux individus. Cela demande une analyse et un recul nécessaire pour pouvoir créer le meilleur binôme possible.
“Comme je le dis souvent sur le podcast, il ne s’agit pas de prendre le dernier chien guide certifié pour le remettre au premier bénéficiaire sur la liste d’attente. Mais au contraire d’un vrai travail de matching pour constituer le meilleur binôme possible pour une petite dizaine d’années. Les premiers critères sont plutôt pratiques comme la hauteur au garrot ou le rythme de marche du chien qui doivent être cohérents respectivement avec la taille et la vitesse de marche du bénéficiaire. Les autres aspects relèvent du caractère du chien et du maître, de leurs trains de vie afin que le binôme formé soit le plus fluide possible.”
Comme nous parlons ici de deux êtres sentients (capables d’émotions), l’effort d’adaptation doit se faire en amont et en aval du guidage. Estelle nous explique tout ça.
“Entre le chien guide et son maitre, il s’agit d’un véritable binôme dans le guidage, comme dans la vie quotidienne. Il y a forcément un temps d’adaptation mutuel qui se fait déjà par quelques week-ends dédiés uniquement à la construction de la relation, sans introduire le guidage. Mais aussi via le stage de remise qui permet au bénéficiaire de bien comprendre et se faire comprendre par le chien, avec l’aide de l’éducateur du chien guide, comme nous le racontait Laurianne dans l’épisode 37 en immersion.”
Les chiens guides d’aveugles sont-ils heureux ?
Quand on aime les animaux, il est normal de se poser la question. En effet, lorsqu’il nous arrive de croiser un bînome, nous voyons surtout l’animal aux côtés du maître. Son dévouement est tel que nous craignons qu’il ne puisse pas remplir l’ensemble de ses besoins physiologiques. Mais alors, le chien guide d’aveugle est-il heureux ?
Avec Estelle, nous avons parlé de son besoin de dépense physique. Voici ce qu’elle nous partage :
“Dès la pré-éducation en famille d’accueil, les futurs chiens guides doivent avoir un équilibre entre le travail et les moments de détente. Les familles d’accueil comme les bénéficiaires proposent alors régulièrement des détentes qui permettent au chien guide de jouer avec d’autres chiens, de renifler et d’avoir de fait un moment comme tous ses congénères. Ces moments sont possibles pour les futurs chiens guides comme pour les chiens guides certifiés grâce à différents apprentissages pour les encadrer. Par exemple avec le rituel de début de détente qui permet au chien de comprendre quand ce moment commence, sans pour autant partir courir s’il traverse un parc en guidant son bénéficiaire. Ces moments de détente sont indispensables pour un bon équilibre du chien afin d’assouvir en effet ses besoins de socialisation et de dépenses physiques qu’il doit contenir sur les temps de guidage. »
Elle souhaite aussi déconstruire cette idée reçue, selon laquelle les chiens guides d’aveugles ne seraient pas heureux :
“Parfois les gens pensent que ces chiens sont malheureux, mais il faut rappeler qu’ils passent leur vie à nos côtés 24h/24, que ce soit pendant leur pré-éducation ou auprès de leur maitre. Les temps de guidage et donc de travail à proprement parlé ne sont pas majoritaires dans le quotidien du chien guide d’aveugle. C’est avant tout un chien et un compagnon de vie pour son bénéficiaire.
Sur un ton un peu plus léger, de nombreuses personnes pensent que ce sont les chiens guides qui donnent le top départ pour traverser au passage piéton. Or le chien guide va amener son maitre en bordure de trottoir, mais c’est bien le maitre qui fait l’analyse du carrefour, avec éventuellement l’aide de signal sonore. Il va ensuite indiquer au chien de traverser.”
Lorsque l’on parle de l’épanouissement d’un animal, nous parlons aussi de “l’après”. Vous est-il déjà arrivé de vous demander ce que devenait un chien guide d’aveugle lorsque, trop vieux, il ne peut plus travailler ? Estelle nous apporte sa lumière.
“Il part à la retraite ! On en a largement parlé avec Fabienne dans l’épisode 15 à propos de la retraite de son chien guide Finlay qui est parti chez Christèle et David, sa famille de retraite que j’ai invitée dans l’épisode 16. La retraite du chien guide est anticipée par les bilans annuels qui sont faits avec l’école de chiens guides d’aveugles dont vient le chien (et dont il est toujours la propriété). Une fois à la retraite, il existe plusieurs possibilités pour l’accueil du chien. Son bénéficiaire peut avoir la possibilité de le garder. Soit des proches du bénéficiaire ou la famille d’accueil du chien a la possibilité de le prendre pour sa retraite. Ou encore comme pour Finlay, l’école de chiens guides lui trouve une famille de retraite.”
Quid de la législation et de son application ?
Les chiens guides d’aveugles sont essentiels pour leur propriétaire. Seulement, il n’est pas toujours évident de faire reconnaître leur caractère indispensable auprès d’autrui. J’ai alors demandé à Estelle si elle pensait qu’ils étaient suffisamment reconnu en France. Voici sa réponse :
“D’un point de vue légal oui, depuis 2005 leur libre-accès dans tous les lieux accueillant du public (et non pas “publics”) est inscrit dans la loi française par décret. Cependant dans la vraie vie, il y a encore de trop nombreux refus d’accès de binômes chien guide-bénéficiaire. C’est aussi le cas du côté des familles d’accueil, comme moi. Il est régulièrement rappelé que nous ne sommes pas aveugles, alors même que l’accès est garanti pour un bon apprentissage du futur chien guide justement ! Un peu comme si on nous reprochait de prendre le volant d’une voiture avant d’avoir notre permis de conduire. Il nous faut bien avoir appris justement pour obtenir notre permis de conduire, et bien c’est pareil pour les chiens !”
Elle nous fait également part de quelques axes d’amélioration :
“Tout d’abord, il y a cette question de libre accès des futurs chiens guides et des chiens guides certifiés. On peut même parler ici des autres chiens d’assistance qui rencontrent les mêmes difficultés alors que la loi est la même entre ces chiens d’aide à la personne. Je suis persuadée pour cela que ça passe par une meilleure connaissance de l’univers des chiens guides d’aveugles. C’est justement l’objectif de mon podcast Futur Chien Guide, comme de mon site www.futurchienguide.fr et de mes réseaux sociaux @FuturChienGuide.
Il y a également la question du coût de l’éducation de ces chiens guides d’aveugles qui est estimé aujourd’hui à 25 000 euros, alors même qu’ils sont remis gratuitement à leur maitre. Les dons et le bénévolat sont ainsi indispensables aux associations. Il est possible d’en faire directement à l’une d’entre elles ou à la Fédération Française des Associations de Chiens Guides – FFAC via ce lien. Il faut garder en tête qu’aujourd’hui seulement 1 % des déficients visuels ont un chien guide, et que les délais d’attente sont longs. En effet, les écoles sont des associations qui vivent uniquement de dons des particuliers ou des entreprises.”
Vous l’avez compris, Estelle est complètement impliquée dans ce domaine. Elle partage avec nous son ressenti sur tout ça :
“J’aime autant mon rôle de famille relais qui me permet d’accueillir des futurs chiens guides comme la jeune Salsa avec qui j’ai passé un mois et demi pendant l’été 2021 alors qu’elle n’avait que 4 mois, que les échanges que j’ai avec mes invités sur mon podcast et que je pourrais tout à fait avoir autour d’un verre avec eux !”
